Claire, sur la terre · Par Catherine Laroze / Claire, on earth · By Catherine Laroze
Jardins familiaux / Family gardens
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portfolio
Certaines images semblent immédiatement familières, même si elles s'offrent pour la première fois au regard. Il en est ainsi des photographies de Claire. Les lieux, les jardins, les scènes, les êtres qui les traversent ou qui y vivent, ces pans de nature, ces éclats d'ombre et de lumière qu'elle saisit et cisèle, portent pour chacun d'entre nous la marque de l'évidence, comme inscrits depuis toujours dans notre mémoire.
Mais c'est là une première impression. Celle qui précisément accroche l'attention pour ne plus la lâcher. Et nous posséder. Car sous l'aspect sensible, immuable des sujets : le velouté d'un fruit pris dans le givre, une étendue neigeuse veillée par les reines de France, le "bleu" d'un jardin marocain, le moelleux d'un feuillage au printemps, le sourire d'un jardinier, la lame noire d'un reflet, s'impose pourtant l'impression que rien n'est définitivement stable ni acquis. Ce monde que Claire assemble sous nos yeux est sous-tendu par une vibration, un tremblé qui ébranle les certitudes et déjoue l'apparente banalité des choses.
Les éléments qui composent ces photographies, ont la puissance des mots choisis par les poètes, des rébus qui hantent les rêves, attendant d'être décryptés. Un arbre, une silhouette, un couple d'amoureux, la corolle d'une fleur, l'ombre d'une bâtisse, une couleur, une certaine lumière... oui... certes... mais c'est bien du rapprochement, de la mise en présence assumée, consciente de ces objets que jaillit l'inconnu des sensations, d'imprévisibles et miraculeuses émotions, autrement dit le feu et la glace, le souffle et le vent, le désir et la foi.
Et c'est là qu'il faut parler de l'amie. Si l'on veut essayer de suivre Claire, autant abandonner les idées toutes faites. Claire ne va pas de soi. Elle n'est jamais là où l'on croît la trouver. Son regard, sa présence, son exigence désamorcent tout ce que l'on pense savoir de la vie, des gens, des choses. Claire est une sonde. Pour peu que l'on accepte de se laisser guider par elle, elle nous invite à passer de l'autre côté du reflet miroitant des apparences et à pénétrer, toujours plus loin et plus profond, dans la chambre noire de l'inconscient et de l'imaginaire.
C'est pour cela que j'aime les photographies de Claire. Elles sont, sans mensonge, sans effet de style, le juste et simple prolongement d'elle-même, le sédiment animé et vivant de ses longues quêtes dans les abysses de son imagination, dans l'humus vivant de ses expériences passées, les éblouissements de son enfance. De ses voyages, dans ces lieux si personnels, ces terres profondes et intimes, inaccessibles à la plupart, elle remonte à la surface du monde visible, une moisson d'images recueillies dans leur fraicheur et leur spontanéité natives.
Je rêve parfois - et sans doute ne suis-je pas la seule - que Claire photographie le monde autour de moi. Je voudrais l'emmener auprès des êtres que j'aime, ceux qui sont là et ceux qui ne sont plus, dans mon jardin d'enfance ou dans mes paysages de montagne pour qu'elle rende visible ce qui appartient au domaine de l'invisible, car personne ne sait aussi bien qu'elle ce qu'être sensible veut dire.
Travailler avec Claire a été une belle expérience. Partager notre intérêt pour les jardins familiaux, l'occasion de nombreuses découvertes. En parcourant ces petits espace si riches, si émouvants situés aux abords labyrinthiques des villes, nous avons découvert ensemble un monde bien plus vaste qui nous parlait à toutes les deux.
D'année en année le travail de Claire évolue et, c'est un grand bonheur que d'en être le témoin. De nouveaux chemins se dessinent. Les vastes perspectives, les plans successifs, les mondes organisés s'estompent, gagnés par une lumière plus vive, des contrastes, de pures impressions, de vives et lumineuses intuitions. Là encore, il faut oser s'abandonner, se laisser aller à ces voies non frayées et suivre l'artiste, qui en prophète révèle l'étrange dans le familier, les nuances sous l'apparente simplicité, l'unité sous la diversité.
Claire est émerveillement, on voit bien, on sent bien, qu'elle est loin d'en avoir fini avec l'insaisissable et inaliénable beauté du monde. En cela, elle photographie en philosophe, creusant, doutant, interrogeant, avec la vitalité, l'appétit et l'énergie intactes d'une jeunesse qui ne se rend pas et qui reste fidèle et reconnaissante à une forme de grâce par laquelle elle a été touchée et qu'elle cherche, à sa manière, si belle, à nous transmettre.
Catherine Laroze
There are some images that seem instantly familiar, even if we are only seeing them for the first time. This is the case with Claire’s photographs. Her images of landscapes, gardens, people, the panoramic expanses of nature or the stark contrasts of shadow and light are captured and carved out, revealing themselves to us like memories we forgot we had.
This is our first impression; the one that reels us in and never lets go. A vibration, a slight tremble that unsettles our sense of assurance and baffles our sense of understanding of the everyday world, tempers the world that Claire presents before our eyes. The images are familiar, we know them: the soft, ripe fruit taken in the frost, a vast, snowy landscape at dusk, the blue of a Moroccan garden, velvety wet leaves of springtime, a gardener’s smile, a blade of reflection, but they leave us with the feeling there is more to what we are seeing.
Poetry, mystery, riddles that haunt our dreams waiting to be deciphered are just some of the elements found in her photographs. A tree, a silhouette, lovers in an embrace, a flower in bloom, dark shadows, a color, a certain light... yes, these are there... but look again, question the assumptions of what you see, aware that these objects and images are causing new sensations to pour out of us, unforeseeable reactions and contradictions like fire and ice, the breath and the wind, desire and faith.
Like a friend, she opens the doors to us, but she doesn’t want us to follow her or abandon our ideas at any cost. There are no givens and the work is never what you expect. Claire is a leader with a vision, a presence, and she demands the most from life, people and things. Those who participate, who do the work and take her guidance, she opens the door to the other side of the looking glass and pushes us further into the depths of our imagination.
It is for this reason that I love Claire’s photographs. They are honest and unaffected extensions of her, whether representations of her vivid journeys of the imagination, the fertile ground of past experiences, or childhood fascinations. Claire delves into the depths of herself and her subjects, bringing to the world a body of work that is fresh and pure.
I don’t think I am the only one who often dreams about having Claire photograph the world around them. I would like to bring her into my world and among those I love, those who are in my life and those who are no longer, to have her step into my childhood garden or the familiar mountainous landscapes of my past and have her render visible that which is invisible, because she knows better then most how to see with feeling.
Working with Claire was a wonderful experience and our shared interest in family gardens led to many discoveries. Traveling around the city and its outskirts to explore these small, yet vibrant garden spaces, we both discovered a world much bigger then we thought and to which we both felt deeply connected.
It is a great pleasure to be able to see Claire’s work develop year after year and I look forward to the new paths yet to come. Broad perspectives, abstracted mappings, blurred boundaries, full of life, of contrasts, of first impressions and intuitive reflections. Once again you have to let yourself go and take the path least expected and follow the artist, who like a prophet reveals the strange in the familiar, nuance in the obvious, individuality in the multitudes.
Claire never ceases to amaze us and fortunately she seems to be a long way from ending her journey into the mysterious and fleeting beauty of the world. She is almost like a photographer as philosopher: excavating, doubting, questioning with an energy, an appetite and vitality of youth that remains faithful and that doesn’t give up. In her own time and in her own way she shares with us this gift that she has been given.
Catherine Laroze